Comment ne pas se maltraiter quand on se fixe un objectif ? (ou la carotte au goût amer)


 

On se fixe tous des objectifs.

 

C’est parfaitement naturel, c'est même plutôt sain, mais je souhaite amener un peu de nuance pour aborder cette quête d’une manière un peu plus écologique.

 

L’objectif provoque de la frustration.

 

Et ce quel qu’il soit :

Réussir une audition d’entrée pour tel conservatoire, gagner un concours internationale, rentrer dans prestigieux orchestre national, vendre des millions de disques, réussir, avoir une chronique dithyrambique dans un prestigieux magazine grâce à un attaché de presse compétent (si cela existe ! ouch désolé, c'est un coup bas)...

 

Il provoque de la frustration quand on échoue.

 

Il en provoque autant quand il est atteint.

 

J’entends que cette thèse va à l’encontre du paradigme actuel qui résonne souvent de manière binaire : 

Échec ≠ succès

Objectif≠ intention

Problème ≠ solution

Réalisation de soi = vie épanouie

Quête de réussite avec to-do list ≠ gros looser qui planifie pas


 

Hélas, Ô héros des temps moderne, la vie n’a jamais été, n’est pas et ne sera jamais une to-do list.

 

Pourquoi quand on pense réussir sa carrière artistique, on échoue


 

En tant qu’artiste, on intègre forcément le regard de l’autre dans l’équation de sa vie. Le regard et l’approbation de l’autre vont conditionner beaucoup de choses quant à ma carrière.

 

Qu’aurait été la vie de Van Gogh avec du succès et des toiles qui se vendent ? 

⇒Il aurait probablement gardé ses deux oreilles (entre autres).

 

On se rend très vite compte qu’être désirable est plutôt une bonne stratégie pour survivre et faire entendre son expression. Ce rapport comptable permet de pérenniser sa carrière.

Ainsi, on introjecte souvent la vision de la réussite que façonne notre environnement (papa, maman, grand frère, cousin machin, la société, le public…).

 Je ne vis  pas connecter à mes besoins mais connecter au besoin de satisfaire les standards des autres.

Me vient une première question : 

“L’objectif que tu t’es fixé est-il le tien ou celui d’un autre ?”

 

J’amène ici à avoir beaucoup de tendresse. C’est ok de faire sien le désir des autres, on marche tous comme ça, TOUS. René Girard, l’explique très bien tout le long de son œuvre à travers la thèse du désir mimétique “Je désire ce que l’autre désir”. 

Mais il est possible sortir de cette boucle et de ne plus manger des carottes amères et terreuses.

 

Pour certains, se donner des objectifs concrets dans la vie est une carotte acceptable, mais pour la plupart d’entre nous c’est une belle façon de se faire violence.

 

Ainsi louper un objectif, c’est risqué si on en a fait l’étalon de l’estime de soi. Chaque échec est vécu comme une mort symbolique.


 

Paradoxalement. Un objectif atteint peut être tout aussi destructeur. Comme un nouveau jouet, on s’en réjouit pendant un moment puis vite un autre ! On passe ainsi de la carotte au carottage ! on se lasse très vite du goût de la carotte (ou il faudrait bien savoir la cuisiner).

Ouroboros, tombeau de danaïdes, les mythes recèlent de symbole pour nous rappeler la condition de la psyché humaine. Ce manque, ce vide essentiel qui nous pousse à vouloir autre chose que ce que nous avons, à souhaiter être autre chose que ce que je suis.

 

Devenir ce que je suis et vivre avec ce qui est

 

La notion d’objectif s’accompagne souvent d’une vision fantasmée de soi :

 

“ Je serai heureux le jour où je serai meilleur que ce que je suis là tout de suite maintenant dans l’immédiat.”

“ Je serai aimable le jour où les gens chanteront les paroles de mes chansons pendant mes concerts sold-out”

“ Je serai celle que je dois être le jour où je rentrerai comme violoncelliste dans cet orchestre prestigieux.”

“Je serai vraiment un artiste le jour où mes streams exploseront sur les grosses plateformes de distribution.”

“Je serai quelqu'un quand des cars de groupies me sauteront dessus, où je pourrai prendre un bain avec mes disques d’or et une horde de fans me serviront de valet.”

“Je serai heureux le jour où j’aurai la plus grosse collection de carottes.”

 

Tiens je te propose de continuer ! Je t’invite à faire un petit exercice d’honnêteté radicale avec toi-même en essayant de compléter cette phrase : “Je serai aimable le jour où…”

 

Ouch! Ça pique un peu hein ?

Quand je le fais, je constate ma vanité et ma fatuité. Mais c’est ok, on est humain. 

Réconcilie-toi avec ta petite vanité intérieure ;) Tant qu’elle ne te guide pas aveuglément, c’est là une part essentielle de toi qui s’exprime : “Je veux être vu et reconnu” (par exemple).

 

En accompagnement, je supplée TOUJOURS la notion d’objectif par celle d’intention.

L’intention guide et ouvre là où l’objectif enferme et aveugle.

L'intention englobe l'objectif là où l'objectif se coupe de l'intention.

 

Voilà pourquoi quand on recentre sur l’intention, sur l’expression de soi, on revient naturellement à ce qui t’a poussé à créer, à faire de l’art, à faire de la musique, à choisir un instrument et t’y astreindre quotidiennement pendant plusieurs heures par jour.

 

On revient à soi.

Et ça, c'est précieux.

 

Il y a un truc viscéral.

L’intention est dans le ventre, là où l’objectif est dans la tête.

 

Maintenant que je suis connecté à mon intention, je vais pouvoir manger autre chose qu’une carotte

 

Bah oui, je n'allais pas juste dégommer la notion d’objectif, maintenant que l’on a introduit l’intention, on peut replacer sa quête d’objectif.

 

“Il n’est pas de vent favorable pour celui qui ne sait où il va.” 

 

— Et bien OUI et NON, monsieur Sénèque ! 

 

En effet, dans un sens, avoir un cap et s’y tenir c’est essentiel ET d’une autre façon ne pas avoir de cap et être comme un courant d’air dans le vent de la vie me semble tout à fait essentiel aussi.

 

Les deux se valent. Tu vois que j’aime bien les objectifs (et les attachés de presse). 

 

Si je me reconnecte à mon intention.

Par exemple, pour moi, ce serait : “dresser un cadre sûr dans lequel j’exerce la libre expression de ce qui m’anime”.

J’ai autant besoin de cap que de non-cap, de choix que de non-choix, d’objectif que de non objectif pour mener mon chemin de créateur.

Je dois autant ma vie d’artiste à ma volonté qu’à une forme de non-agir.

Et c’est souvent en absorbant un état de non-agir que je saisis, dans l’instant, l’action juste pour bouger.

 

Si j’étais par exemple coincé dans ma stratégie pure de “je veux ma place dans un orchestre symphonique prestigieux” je n’aurai peut-être pas commencé à écrire, puis à chanter, puis à arranger, puis à produire, puis à…

 

Il y ‘a là une forme d’abandon à ce qui est.

Je n’ai pas le contrôle du flux de la vie mais je peux avoir la maîtrise de la façon dont je surfe dessus.

 

Serpenter dans le flot de la vie

 

On peut parler de sérendipité, un joli mot serpentin qui signifie faire par hasard une trouvaille inattendu alors que l’on cherchait autre chose.

Or, comme le dit joliment Paul Éluard : “Il n’y a pas de hasard, il n’y a que des rendez-vous.”

Je crois chercher à devenir musicien d’orchestre et finalement en étant ouvert à ce qui est, je me découvre chanteur et chansonnier ou je me découvre une vocation d’enseignant.

 

Agir et rencontrer le sens sur son chemin ou trouver un sens puis agir sont les deux faces de la même pièce. Cette pièce reflète la magnifique complexité de l’humain et de son libre et non libre-arbitre (hé hé).

 

Bref pour faire simple.

Tant que l’on ne se violente pas en tentant de faire rentrer des cubes dans des ronds (ou des attachés de presse sans accréditations dans un festival) avoir des objectifs est plutôt chouette.

C’est même compliqué de vivre sans aucun objectif.


 

Veille seulement à ce que ton objectif corresponde à ton intention et à qui tu es.

Encore faut-il savoir qui tu es.

 

Et comme disait l’autre :

“Connais-toi toi-même et tu auras le droit à de la barbe à papa.” (je crois que c’est ça).


 

Mangez cinq fruits et légumes par jour (carotte ok mais avec modération)

Portez-vous bien

À très bientôt


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